Mon très cher violon… 

 Entre nous, tout a commencé par une rencontre. Un coup de foudre, oserai-je le dire. Je n’avais pourtant pas l’Âge de Raison mais lorsqu’à cinq ans, j’ai entendu ma cousine jouer de ton son sur scène, la mélodie qui s’est immiscée au plus profond de mon être a tout fait basculer. Je te voulais, toi. Toi et toi seul. J’ai tanné mes parents pour te revoir, pour pouvoir te respirer, pour pouvoir te toucher. Par dessus tout, je voulais te tenir entre mes mains et te faire résonner.  Ravi(e)s de cet enthousiasme, mes parents ont trouvé un premier professeur, et nous avons pu commencer notre apprentissage. Tranquillement, laborieusement. Notre son était poussif, incertain mais tu ne peux imaginer la joie qui était la mienne à cet instant. Jouer ces trois notes était pour moi la source d’un immense bonheur. Grâce à toi, j’ai découvert l’univers de la Musique, univers qui m’a tout de suite transporté. J’ai appris le solfège. J’adorais les dictées de notes. Tous ces sons qui s’envolaient du piano pour finir couchés sur ma portée… Ces signes que seuls « les initiés » pouvaient comprendre… C’était un peu comme parler  un langage secret. 

Hélas, nos cours se sont rapidement dégradés avec mon professeur. En effet, bien qu’étant un musicien hors pair, il était un bien piètre pédagogue.  Fort heureusement, ma mère, qui suivait également ses cours pour pouvoir m’aider à travailler à la maison, l’a vite compris et nous avons décidé de changer d’école. J’avais 8 ans. Mes parents choisirent de m’inscrire au conservatoire, mais comme nous étions en cours d’année, je devais attendre la rentrée suivante pour pouvoir rencontrer mon nouveau professeur. Par chance, dans la petite école de musique où je pratiquais déjà le piano, un cours de violon venait d’ouvrir ses portes. Mes parents décidèrent de m’y inscrire. J’y ai rencontré mon deuxième professeur. A toi qui me lit, je te dirai  que c’est l’une des rencontre les plus marquante, enrichissante mais aussi l’une des plus traumatisante et destructrice que j’ai faite dans toute ma vie. C’était une femme blonde, forte d’environs 40-45 ans, originaire de Russie. Elle était venue s’installer en France avec sa famille des années auparavant. Son mari, violoniste de métier, occupait une place dans un orchestre de la région, tandis qu’elle enseignait le violon dans plusieurs conservatoires et écoles. C’était une femme à la voix dure, au français approximatif, très  impressionnante,  et avec énormément de caractère. Dès le départ, elle entreprit de corriger les mauvaises habitudes que j’avais pu prendre au cours de mes quatre premières années de pratique. Et il y en avait beaucoup. Désireuse de faire des progrès, j’étais motivée et je m’investissais énormément dans ses leçons, tout comme mes parents. Cela l’encouragea à me faire travailler encore plus. Elle trouvait que j’avais du potentiel, ne comptait pas ses heures et ne nous faisait pas payer les heures supplémentaires. Je prenais des cours chez elle. Je faisais des stages. Pendant des heures et des heures. Elle était très exigeante, à la rigueur militaire et ne mâchait pas  ses mots à mon égard, réduisant en poussière mon estime et ma confiance en moi. Chaque leçon était un calvaire. Mais sur le moment, mes parents ne le voyaient pas. Ils ne voyaient que mes progrès. Ce qu’ils souhaitaient, c’est que je puisse avoir un bon niveau pour pouvoir me faire plaisir et jouer ce que je voulais. Ils étaient tellement contents de notre travail ensemble, qu’à la rentrée suivante, oui, j’ai intégré le conservatoire, mais je suis aussi restée dans cette petite école de musique pour continuer à travailler avec ma professeure, qui avait accepté d’être ma répétitrice. Ainsi, dans l’ombre, elle me faisait travailler les études et les morceaux que me donnait mon professeur du conservatoire. Elle me faisait répéter pour les examens… Par la suite, elle décida de me donner également du travail supplémentaire à réaliser pour elle, d’autres devoirs à travailler. Et cela porta ses fruits.  Toi comme moi, petit violon, nous qui étions si raides, à force de travail et de patience, nous avons pu nous exprimer un petit peu plus. Avec son enseignement, nos balbutiements sont peu à peu devenus des mots, des phrases. Au fil des mois, des années, j’ai ravalé ma fierté et les larmes qui étaient quasi omniprésentes durant les leçons se firent un peu plus occasionnelles sans jamais pour autant  complètement disparaitre.

Au conservatoire, les cours de violon se passaient bien, un peu trop bien même. Jamais le professeur n’élevait la voix sur moi. Mais je m’ennuyais. Je me demandais  si ces cours servaient réellement à quelque chose…. Cependant la vie au conservatoire me plaisait beaucoup !  J’y avais des ami(e)s et aller aux cours de violon me permettait de les voir, de rester incluse dans le groupe. Un mal pour un bien dira-t’on.

Pour ma rentrée au collège, le conservatoire proposa à mes parents de m’inclure dans un programme de musique-études avec d’autres enfants du conservatoire. Ils acceptèrent. Rapidement, nous avons noués des liens très forts avec mes camarades. Nous passions énormément de temps ensemble chaque semaine. Nous travailliions ensemble,  allions aux mêmes cours… Tous les après-midi, nous avions des répétitions, des auditions, des cessions d’orchestre, les cours de solfège… De mon côté, en sus, j’avais mes deux cours de violon, un cours de piano, les heures de travail à la maison… sans oublier les devoirs et les autres activités extra-scolaires… Oui, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour m’ennuyer au collège.

Cependant, il y a un mais. Dans ce super programme se jouaient des enjeux que ma famille et moi n’avions absolument pas prévu ou envisagé. En réalité, tout n’était que connivences, copinage et stratagèmes destinés à promouvoir uniquement certains élèves. En coulisses, une compétition féroce se livrait entre les parents. Et finalement  ce qui devait arriver, arriva : Cette rivalité rejaillit sur nous, les enfants, et les liens d’amitié si soigneusement tissés durant toutes ces années, se sont vus dénoués, déchirés, bafoués par une ambition aveugle et toujours plus dévorante. Mes ami(e)s en sont venus à perpétuellement nous comparer nous rabaisser. Tout y passait : nos notes, nos morceaux… qu’est-ce qui était plus difficile, qui rendait le mieux sur scène, qui avait le plus de talent, quels concerts nous faisions, quels stages etc. Moi je ne comprenais pas : Et la musique dans tout ça ?  

Je n’avais pas changée. Je ne voulais pas que les choses changent. Moi, ce que je voulais, c’était partager, m’amuser, rire avec les autres. Pour moi, cher violon, tu étais mon ami, un lien entre les êtres humains, un échappatoire… mais pour eux, au-delà d’un art, tu étais un métier, un faire-valoir, une carrière. Sans même le vouloir, nous nous sommes retrouvé(e)s en compétition. Je commençais à sentir la situation m’échapper. Il y avait toujours plus de cours, toujours plus d’heures, toujours plus de travail. A 14 ans, je passais un audition pour entrer dans une académie nationale. A l’entretien suivant ma prestation, ma professeure de violon me dit de mentir. Je devais signifier au jury que oui je souhaitais ardemment faire du violon mon métier. Pour elle, cela n’était que des mots, nous continuerions nos cours ensemble comme d’habitude, simplement dans l’optique de me faire progresser un maximum et dans les conditions géniales que cette académie pouvait m’offrir.  Mes parents l’ont cru, moi aussi. J’ai menti. J’étais prise.

Cette année-là, mes parents m’ont retiré du conservatoire en violon. Si j’y ai vu une belle occasion de prendre de la distance avec mes anciens amis devenus toxiques, il a bien fallu avouer à mon professeur qui était mon véritable mentor. Celle qui me faisait travailler dans l’ombre depuis toutes ces années et pour qui je le quittai. Et ça, sa femme, qui était aussi ma professeur de piano (et également la mère de l’une de mes anciennes amies) me l’a fait payer. A chaque cours de piano, c’était des brimades, des insultes. Rien n’allait jamais, elle m’attaquait sur ma musique, sur mon physique. Elle ne cessait de me rabaisser, me dénigrant même pendant les représentations, aux yeux de tous, moi, qui étais pourtant son élève. 

 Je poursuivis mon parcours violonistique et me rendis donc chaque semaine à l’Académie. Cette dernière était située très loin de chez moi et du collège, et je devais faire de longs trajets en train, seule pour m’y rendre. Et les surprises se sont enchainées…Moi qui détestais le solfège, et qui avais pourtant terminé mon cursus au conservatoire…Il a fallu remettre ça à l’Académie. 3h30 par semaine.  Mes cours de violon s’éternisaient,  je les subissaient de plus en plus. J’avais en plus des heures de musique de chambre, du déchiffrage…ce que j’ignorais au départ… plus les devoirs, mon autre cours de violon, le travail à la maison, les activités et les relations houleuses avec mes anciens amis et professeurs… Je ne m’amusais plus, je ne prenais plus aucun plaisir et je sentais que peu à peu, je sombrais. Entre nous, cher violon, s’était tissée une relation toxique, entre amour et haine, et cela insufflait en moi une souffrance que je n’étais plus capable de surmonter. 

 A la fin de l’année, à bout, j’ai supplié mes parents d’arrêter. J’ai arrêté l’Académie et le piano au conservatoire mais j’ai continué à te voir une fois par semaine dans ma petite école de musique. Ma mère restait assister aux cours. Comme dans une famille qui vole en éclat. Nous avions un médiateur. Ma professeure, déçue a fait une croix sur moi. Il était tant de retrouver la vraie vie. L’année suivante, j’ai intégré un lycée aux horaires normales. Pour la première fois. J’ai fais des rencontres qui n’avaient rien à voir avec toi ni la musique. J’avais plus de devoirs, moins de temps pour toi. De toute façon quelque chose en moi s’était brisé. Ma flamme s’était éteinte. Je me sentais essorée, vidée, bridée, bloquée. Nourrie au biberon par le conservatoire et ses méthodes, j’étais complètement figée sur mes liasses de partitions. J’avais en horreur l’idée de me produire sur une scène,  toujours à la fu d’un commentaire, d’une remarque ou d’une validation de quelqu’un qui m’aurait dit comment jouer ou ne pas jouer. Ce que je devais ressentir ou refouler. Jouer était devenu une angoisse. J’étais perdue, vulnérable. Je n’avais plus confiance en moi. 

 Au départ, ce qui me plaisait c’était de te faire sonner comme bon me l’entendait, ressentir la musique vibrer à partir de mon cœur, traverser ton âme et sentir que nous fusionnions et que notre chant résonnait au dehors de nous. Le carcan de l’enseignement classique nous a brisé. « Non ne fais pas si, non ne fais pas ça, joue-le comme-ci comme ça. Tu dois faire tout ces exercices si tu veux en faire ton métier. » Oui…Mais moi, je voulais juste jouer. 

J’ai fais énormément de sacrifices pour toi. Sans rien attendre en retour. Combien de cours d’équitation, discipline que j’aimais tant, ai-je du rater par ta faute ? Combien d’heures passées au conservatoire ? Combien d’insultes de la part de mes professeurs, combien de stages, de concerts ou le stress me tordait le ventre ? Combien de larmes ai-je versé sur le pupitre ? Et tout cela pourquoi ? Pour avoir un bon « niveau »? Pour satisfaire l’ego d’autres personnes ? A travers moi, ils avaient trouvé « une pouliche ».  Ils avaient l’air si contents, et moi, lâche, pétrie d’une habitude, je n’ai plus eu le courage de dire non. J’ai persisté.  Mais ça n’était qu’une mascarade. Comme dans une relation malsaine, je me suis dit que c’était de ma faute, qu’un jour, ça passerait, qu’un jour je serai heureuse de jouer. Que j’avais de la chance. Ce jour n’est jamais arrivé. Notre calvaire aura duré plus de 15 ans. Juste le temps qu’il m’a fallu pour dire stop. C’est fini. Je t’ai rangé dans ton étui et je suis partie. J’ai ravalée ma salive et ma rancœur et j’ai serré la main d’une autre de mes complices, l’écriture. Elle, au moins elle m’aimait. Et il n’y avait personne pour regarder par dessus mon épaule en me sermonnant à tout va. J’ai choisi de la suivre et je t’ai laissé seul à ton sort, dans l’obscurité sur une étagère de ma chambre. Je suis partie. Puis, je suis revenue. Cette année 2021, désillusionnée par la vie, 10 ans ont passé. Je t’ai tiré de ton sommeil. Je t’ai regardé et je ne t’ai pas vendu. Non ! ça n’était pas fini ! Le bourdonnement autour de nous avait cessé. Nous étions seuls. Je t’ai pris dans mes bras, j’ai collé ma joue contre ta caisse de bois et j’ai pleuré. J’ai pleuré toute cette souffrance, tout ce mal-être dont je subi encore les conséquences. J’ai pleuré toutes ses larmes parce que tu m’as manqué. 

Aujourd’hui, après 10 ans, enfin j’ai le choix de pouvoir jouer ce qu’il me plait, comme je l’entends. Qui est là pour juger le choix de mes  morceaux ? Qui est là pour me dire de faire des gammes ou de bien suivre le tempo ? Personne. Aujourd’hui, les voix se sont tuent. Les gens sont loin. La pression est retombée. Qui est là pour m’empêcher de t’aimer ? 

Cher violon, tu m’as tant fait souffrir mais aujourd’hui, mon plus vieil Ami, mon plus vieil Amour, nous nous sommes retrouvés et si le meilleur n’est pas à venir, c’est ensemble que nous irons le chercher. 

 

 

A très vite !

Célia D.